« La Guerre aérienne et le droit international humanitaire », Editions Pédone.
Pascal M. Dupont
Les actes du colloque « La Guerre aérienne et le droit international humanitaire » organisé les 7 et 8 juin 2012 par l’Université Nice Sophia Antipolis ont été publiés en avril 2015 par les éditions A. Pédone1 dans un ouvrage destiné à tous les juristes internationalistes et aériens. Contrairement aux opérations terrestres et navales qui disposent d’un corpus juridique bien établi, la « guerre aérienne » ne comporte aucun traité international. Pour autant, les aspects juridiques de l’emploi de la puissance aérienne sont devenus progressivement incontournables dans les relations internationales, comme en témoignent les questions liées aux frappes aériennes de l’OTAN dans les Balkans dans les années 1990 ou plus récemment en Libye en 2011.
L’un des mérites de ce colloque est d’avoir traité de l’ensemble des problématiques juridiques liées à l’emploi de la force dans la troisième dimension et même au-delà en abordant les questions connexes portant sur la conflictualité dans l’espace extra-atmosphérique. A cet égard, il convient de rappeler que le recours à la puissance aérienne dans les conflits contemporains est consacré par la Charte des Nations-Unies. Pour le Conseil de sécurité, les forces aériennes peuvent être utilisées pour rétablir ou maintenir la paix et la sécurité collective (Louis Balmond, Université Nice Sophia Antipolis). Il en va ainsi des zones d’exclusion aérienne qui, malgré une absence de définition officielle, sont établies en application de l’article 42 du Chapitre VIII de la Charte de San Francisco. Leur mise en oeuvre relève de l’utilisation de moyens militaires par un Etat contre un autre Etat et ces mesures militaires relèvent du droit international des conflits armés. Les ZEA, qu’elles soient établies par une partie à un conflit armé ou par le Conseil de sécurité, ne sont pas des « free fire zones » dans lesquelles l’ouverture du feu serait automatique, sans considération des circonstances ou de la nature de l’aéronef en vol malgré l’interdiction (Jean-Christophe Martin, Université Nice Sophia Antipolis). Du côté des Etats, la conduite des opérations aériennes doit être conforme aux principes fondamentaux du droit humanitaire et notamment aux dispositions du Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949 (Michel Veuthey, Institut de Droit International Humanitaire et Eric David, Université Libre de Bruxelles). En particulier, l’article 48 du Protocole I réaffirme la distinction entre population civile et biens civils (qui doivent être respectés et protégés), d’une part, et combattants et objectifs militaires (qui peuvent être attaqués), d’autre part. L’article 51 « Protection de la population civile », confirme sous son aliéna 5 a) le caractère illicite des bombardements dits de zone (« carpet bombings » ou « blanket bombings ») dans la mesure où ils sont effectués sans discrimination. Il énonce sous son alinéa 5 le principe de proportionnalité. Quant à l’article 57, il prévoit que toutes les parties ont l’obligation de prendre des précautions pour éviter ou au moins minimiser les pertes civiles. Il est à l’origine du concept de dommages collatéraux excessifs qui rendent l’attaque disproportionnée et donc illégale (Marco Sassoli, Université de Genève). Dans la conduite des opérations aériennes, les forces aériennes doivent se livrer à une appréciation rigoureuse des principes de distinction de proportionnalité au cours des processus de planifications des frappes (Xavier Périllat-Piratoine, Institut International du Droit Humanitaire). Tel a été le cas notamment lors de
1 « Guerre aérienne et droit international humanitaire », UFR Institut du Droit de la paix et du Développement (IPDP) de l’Université Nice Sophia Antipolis, Groupement d’Etudes et de recherches sur le Droit International et Comparé – GEREDIC EA 3180, sous la direction d’Anne-Sophie Millet-Devalle, Editions A. Pédone, avril 2015, 343 p.
2
l’opération de l’OTAN « Unified Protector » conduite sous le mandat des Nations-Unies en Libye entre mars et octobre 2011 qui se caractérise par l’emploi de 260 aéronefs, ainsi que 21 moyens navals qui ont réalisé plus de 26 500 sorties ayant permis de détruire plus de 5 900 objectifs militaires. A ce titre, cette opération est indubitablement la campagne aérienne la plus intense de l’OTAN depuis l’Opération « Allied Force » pendant la guerre du Kosovo en 1999 (Christian De Cock, ministère belge de la défense). En dehors du respect des principes de distinction entre les objectifs militaires et civils, de proportionnalité, la conduite des opérations aériennes est également confrontée aux enjeux de la protection de l’environnement (Karine Bannelier, Université Grenoble-Alpes.). En cas de conflit, les Etats belligérants doivent aussi respecter la neutralité de l’espace aérien de l’Etat qui ne participe pas aux hostilités, tout comme ce dernier a l’obligation de faire respecter la neutralité de son propre espace aérien (Anouche Beaudouin, Université Nice Sophia Antipolis). A la différence de l’espace aérien, l’espace extra-atmosphérique, régi par un ensemble de traités internationaux qui ont consacré son utilisation à des fins pacifiques, ne saurait devenir une zone de conflit. Le Traité sur l’espace atmosphérique de 1967 a été jusqu’à présent la pierre angulaire d’un droit spatial élaboré dans le contexte de la guerre froide. Il se fonde largement sur la Déclaration des principes juridiques régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Il est peu probable toutefois qu’un nouveau traité en matière d’utilisations militaires de l’espace puisse être adopté compte tenu des dissensions de la communauté internationale (Anne-Sophie Millet-Devalle, Université Nice Sophia Antipolis). Parallèlement, la jurisprudence internationale en matière de guerre aérienne apparaît véritablement au cours des années 1990 avec les opérations de l’OTAN dans les Balkans (Isabelle Moulier, Université d’Auvergne). Depuis le début du 21ème siècle, la guerre aérienne a encore évolué. Si le recours aux drones constitue un moyen de combat licite au regard du droit international humanitaire, les opérations de bombardements réalisées avec ce type d’aéronef doivent respecter les principes fondamentaux du droit international humanitaire (Eric Pomes, Université Nice Sophia Antipolis). Fruit d’un travail d’experts achevé en 2009, le Manuel de Harvard sur la guerre aérienne constitue un recueil de règles conventionnelles propres aux opérations aériennes fort utile pour les planificateurs et les juristes et tous ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la question de l’usage de la force dans l’espace aérien (Yoram Dinstein, Université de Tel Aviv). De toute évidence, les actes de ce colloque et l’ouvrage qui en a été tiré, constituent une contribution majeure à la doctrine relative à une thématique de plus en plus importante dans les relations internationales.
Pascal M. Dupont